Au Pavillon Kennings

Elle s'ennuyait.
Cela n'avait, somme toute, rien de réellement surprenant. Considérant son hyperactivité et son tempérament un tantinet extatique, l'oisiveté la guettait et avait pour conséquence, paradoxale et exponentielle, d'attiser plus avant son énergie.

Les lieux étaient giboyant. Rien d’extraordinaire là non plus, puisque le domaine était un terrain de chasse. Herbivores comme carnivores d'ailleurs. On trouvait là cerfs, daims, loups, ours et grizzlys. Lapins à profusion, marmottes à la pelle, castors en kyrielle.
Une faune passable au sport à peine divertissant et digne des gourmets les plus tragiquement basiques.
Mais elle n'était pas de ceux-là. Le frisson de la chasse appelait chez elle à un instinct bien plus sauvage, amplement plus vivant. Et ce genre de proie, effroyablement triste, ne l'attirait que lorsque la lubie titillait ses talents culinaires.

Les impulsions cartésiennes de son esprit pragmatique ne purent qu'en venir à une conclusion. Joindre l'utile à l'agréable, le devoir au sport. La Justice ne connaissait aucune limite, et c'était précisément là la beauté de la chose. Universelle, intemporelle. Et elle ne connaissait pas plus grand champion qu'elle-même. Un champion indéfectible, stoïque et exalté. Les lieux regorgeaient de vermines. Réprouvés, qu'elle gardait pour la suite, et pirates.
Oh, c'était une option alléchante. Ces rampent-la-fange avait le don de faire naître en elle une bile qui lui retournait autant l'estomac que l'esprit, et il était temps de frapper un grand coup. Et ce aussi bien au sens propre que figuré.

Elle quitta la taverne en exposant ses projets à son époux, et partit en quête d'informations auprès des autochtones quant à ces petits voyous locaux.

La paix régnait enfin. Une paix sûrement de courte durée et toute relative, Celendrak en était convaincu, mais elle n'en restait pas moins appréciable à ses yeux ; surtout après les récents événements.

En effet, les quinze derniers jours s'étaient révélés particulièrement éprouvants, et ce tant pour le moral que pour le physique. Tout le régiment avait souffert - certain.e.s plus que d'autres - de leur condition incertaine et inconfortable sur ces territoires encore méconnus. Alors à dire vrai, même si la perte d'un auriculaire n'était pas si dramatique et handicapante qu'on pouvait l'imaginer, elle représentait néanmoins une gêne d'une certaine importance pour le jeune guerrier. Une gêne qui occultait presque complètement les autres blessures qu'il avait pu subir, en réalité. Pour cause, sa prise s'en trouvait légèrement diminuer sur la garde de sa grande épée, rendant moins évident le maniement de l'arme susnommée. Et pour tout arranger, le problème était localisé sur la main  directrice du jeune homme. Sans parler du fait que la vision du membre à seulement quatre doigts l’interpellait systématiquement, lui rappelant l'illusion cauchemardesque infligée par le torve-esprit. Cela ne l'empêcherait pas de se battre, pour sûr... toutefois le dérangement était bien réel.

Ainsi, suite à sa première nuitée au Pavillon, il lui vint l'idée d'un concept qu'il eut tôt fait de consigner quelque part pour palier efficacement à ce petit inconvénient. On pouvait donc le voir de temps en temps se positionner au coin du feu à l'approche de la soirée, le menton en appui sur la paume d'une main, l'autre en train de gribouiller notes et schémas sur un étrange carnet tiré de sa sacoche de forgeron. En bref, il profita de son premier jour pour prendre un repos longtemps attendu et apprécier le confort de leur résidence temporaire, tout en donnant corps à ses nouvelles idées.

Une fois la journée réglementaire de congé révolue et la fatigue un tant soit peu jugulée, Celendrak repris ses bonnes habitudes. Tous les matins juste après le levé, il sortait pratiquer quelques exercices musculaires rudimentaires pour ne pas trop risquer d'aggraver ou de rouvrir ses blessures. Une petite session d'escrime était également de rigueur, où là encore il se contraignait à rester sobre. S'ensuivait une courte pause faîte d'introspection et de prière, qui marquait par la même occasion la fin de son rituel matinal.

Du reste, une seule chose le chiffonnait encore. Son âme d'artisan se refusait catégoriquement à laisser son armure et l'équipement de certains de ses compagnons dans l'état pitoyable dans lequel il se trouvait. Certes il trouvait que ce genre de considérations presque totalement secondaire au vu de la situation, d'autant plus qu'il n'avait pas forcément en sa possession l'intégralité des outils nécessaires à la réalisation de ce genre de projet. Pourtant, après les mésaventures vécues ensemble, il estima qu'être préparer correctement pouvait éviter de gros problèmes dans la gestion de potentiels imprévus. En somme, mieux valait prévenir que guérir. Ainsi se dépêcha-t-il de partir en quête de tout ce qui pourrait s'apparenter de près ou de loin à une forge, espérant mettre à profit ses compétences latentes.

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