[Celendrak] : Une bonne flambée

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Enfin la neige et la glace reculaient face aux assauts répétés des vents de printemps, qui apportaient avec eux un peu de la chaleur du sud et la tiédeur qui saisissait déjà les plaines dorées sans fin d’Arathi. Même si la plupart était stoppé par les dents déchiquetées des montagnes des contreforts sud d’Alterac, ce qui reste permettait d’enfin entrevoir la fin de l’hiver et le retour des jours meilleurs, où l’on quitte les routines des temps gelés, où l’on échafaude des projets pour la bonne période à venir, constructions, mariages, familles et cérémonies. Dans cette partie-là du Duché d’Aiglepic, au cœur des steppes de l’Arzen, le changement du sens du vent, que l’on disait venir de cette partie du ciel tenue ordonnée par Skyrdyva, la Chouette lunaire blanche, était accueilli avec joie. C’était le moment où le clan pliait bagages et quittait le Camp d’Hiver pour traverser une partie de la province et s’établir sur l’emplacement du Camp de Printemps. Une période de bonheur, où les enfants jouaient en suivant le convoi, sautant dans les flaques de neige fondue, cueillant les premières fleurs timides de montagne, sous la surveillance des adultes aux aguets et vigilants.

Cette année, les rires et les jeux étaient plus restreints. Il flottait comme un mauvais vent, celui de l’inquiétude légitime face à la montée en puissance des ennemis du duché, certains depuis toujours, d’autres plus récents. Les nouvelles du bastion de ténèbres au sud des Basses-Terres étaient venues jusqu’ici et beaucoup espéraient qu’une telle catastrophe ne frapperait pas à son tour l’Arzen, qui avait déjà bien assez à faire avec son peu de richesses naturelles en dehors de ses animaux et de ses lacs poissonneux. On parlait de choses et d’autres, de spectres sur le retour dans la lointaine Province de Percevent et de ténèbres rampantes dans certains coins interdits de la Forêt du Guetteur. Autant de menaces en suspens qu’il ne fallait pas sous-estimer.

Cette année alors, en accord avec l’Archonte, un premier convoi d’hommes robustes avait quitté le Camp d’Hiver en avance, pour s’assurer que le prochain emplacement du clan était sûr et pour préparer la venue efficacement du reste des membres du clan, pour conduire au plus vite les rites de célébration de la Terre et de l’Abondance. Cela faisait maintenant dix jours qu’ils étaient partis et le convoi approchait de sa destination, sans nouvelles d’eux, ni venue d’un messager comme il avait été convenu. Une certaine forme d’angoisse montait, par chuchotements tendus entre épouses ou mères, que les Anciens tentaient de tempérer par de douces paroles rondes de sagesse éprouvée. Mais le terrain continuait de s’abaisser et de contourner l’épine rocheuse fendant la Province et personne ne venait à la rencontre du reste du clan.

Pour une bonne raison.

A peine passé les contreforts rocheux gardant le passage vers le plateau où ils établissaient leur campement pour la saison printanière, des volutes de cendre et de fumée cueillirent les claniques d’Arzen. Au-dessus des cimes des arbres nus on apercevait clairement une colonne de fumée, provenant probablement d’un feu à quelques centaines de mètres. La panique étreignit le clan comme jamais. Un petit groupe se détacha rapidement pour venir à la rencontre de ce qui semblait être une profanation de leur lieu de vie et les cinq éclaireurs ne tardèrent pas à découvrir le fin mot de l’histoire.

C’était bel et bien l’aire où le Clan d’Arzen campait au printemps, mais méconnaissable. De l’incendie qui avait dû prendre au centre, il ne restait que des monticules de cendres, sur un cercle irréguliers d’environ quinze mètre de diamètre. Sous l’épaisse couche de cendre durcie couvaient encore des braises qui jetaient des éclats rubis menaçants et quelques langues de fumée grise. Tout autour du tas, des empreintes de pas, des centaines et des centaines de pieds lourds bottés d’acier et de cuir ayant massacré la terre par des passages réguliers, souvent rayées par des traces droites, creusées dans la terre, des sillons irréguliers mais convergeant vers le centre du bûcher. Car c’était bien de cela qu’il était question. Surgissant comme des doigts tendus, brillant dans le soleil pâle ou dessinant leurs formes en affleurant sous les cendres, il y avait des os, éclatés par le feu. Les chasseurs n’avaient aucun mal à les reconnaître, même brisés en miettes. Des fémurs, des vertèbres, des crânes … Et l’odeur tenace qui s’accrochait à l’aire confirmait l’horrible vérité qui ne mit que peu de temps à se révéler aux yeux effarés des éclaireurs : c’était celle de la chair brûlée.

Le premier groupe d’hommes du Clan avait été traîné sur un bûcher de fortune sur le site de leur propre camp. Aucun indice sur qui avait commis cet acte infamant, hormis cette bannière oubliée, ou laissée à dessein sur un étai, immaculée, seulement marquée d’une flamme rouge.


Bureau ducal, quelques jours plus tard.

Kiel les avait convoqués dans son bureau officiel de la Citadelle. Il avait grand besoin d’eux, de ses hommes et de ses femmes d’armes, frères et sœurs désormais, pour lever le mystère sur cette affaire qui semblait requérir l’usage de la force. Il leur dit :

« Soldats de la Maison, mes frères et sœurs d’armes, je vous demande aujourd’hui de faire route vers la Province d’Arzen. Une attaque vient de s’y produire et le Clan me prie instamment de rendre justice au plus vite. Vous devez vous rendre au Camp de Printemps du Clan et mener l’enquête. Une autre affaire en Aldunholm m’empêche de vous prêter main-forte, mais je suis certain que vous ne me faillirez pas. »
« Allez vite, et que les Dieux vous gardent. »

Le jeune soldat n'avait pas tardé pour répondre à l'appel du devoir lancé par son seigneur, délaissant bien vite la chaleur infernale qui se dégageait de la forge de la garnison pour se rendre présentable et s'empresser de rejoindre l'office ducal.

A son arrivée, il écouta avec attention les nouveaux ordres de missions dispensés par son supérieur, ses pensées seulement troublées par quelques souvenirs de l'épisode des Basses-Terres survenu il y a n'y pas si longtemps. La défaite cuisante qu'ils avaient essuyé là-bas lui avait laissé un goût amer en bouche, teintant d'un voile de déception le déclin de la période froide de l'année.

Il fallait maintenant repartir à nouveau, afin de débusquer et de punir les assaillants du clan. Celendrak, fidèle au poste, se disait cependant que ses "talents" de détective ne seraient que d'un moindre secours dans ce genre d'attribution ; aussi espérait-il qu'il saurait se rendre plus utile lorsque l'usage de la violence deviendra nécessaire.

Ainsi, lorsque le Duc eut finit son briefing, le jeune soldat répondit présent dans un très classique salut militaire.

Une demi-journée de cheval fut nécessaire aux soldats ducaux ayant répondu à l'appel de Kiel pour rallier les steppes d'Arzen, accueillis dès leur entrée sur les terres du clan au bélier par le frais vent des montagnes gelées. Le fort vent qui ne connaissait ici que peu d'obstacles les poussa à bon port, vers le camp provisoire monté par les suivants d'Avarim Myswelt à bonne distance de l'emplacement traditionnel. Ils furent accueillis avec chaleur néanmoins, mais un peu de perplexité, par ces hommes et ces femmes à la peau brûlée par le soleil, toujours dehors à garder les troupeaux ou à fourrager.

Au coucher de soleil, ils furent menés vers les ruines, qui avaient été laissées en l'état. Nul n'osait s'en approcher, tant que la lumière n'aurait pas été faite. On pouvait presque sentir, pour les plus sensibles, l'ombre tenace de la mort s'accrocher aux débris laissés çà et là, l'écho des esprits égarés et douloureux des suppliciés qui n'avaient pas encore trouvé le repos.

Face à eux, l'aire du clan, bordée de quelques arbres dont les branches les plus proches étaient coupées et les tendres feuilles de printemps d'autres étaient carbonisées. La terre fraîche portait encore les marques de passage, sillons convergents vers le tas de cendres, traces de pas et de sabots, marques plus complexes à analyser. Ce même tas, qui dominait d'un mètre le niveau du sol à son sommet, était piqué de restes d'os cassés, de fémurs éclatés, de crânes fracturés et, plus macabre encore, des restes de chair carbonisée attachée à des os. L'éclat de quelques dents se devinait également à la surface. Tout autour du feu, c'était un chaos de tentes saccagées, piétinées, alternant avec des empilements d'os brûlés ou des outils cassés et des sacs éventrés. Au nord flottait la fameuse bannière blanche marquée d'une flamme rouge, laissée intouchée et narguant la scène de son caractère énigmatique. A l'est, au-delà de l'estrade montée à la va-vite, se dessinait d'autres traces de pas, plus erratiques.

Il ne leur restait plus qu'à faire éclater la vérité de Havish sur ce chaos, et à trouver les malfaiteurs.

A leur arrivée sur le lieu du carnage, le jeune Walric s'accorda tout d'abord un court moment avec les rescapés de cette tragédie. Il n'avait pas besoin de voir la scène du crime pour savoir que sous l'accueil certes chaleureux des membres du Clan se cachait incompréhension, deuil et tristesse. "Je suis un étranger et je n'apaiserai pas leur douleur avec des mots, mais quelques paroles de réconfort ne seront pas du luxe" pensa-t-il en distribuant condoléances et encouragements, assurant à ceux qui avait survécu que la justice ducale s'abattrait sur les malfaiteurs, quel qu’ils soient.

Il se tourna ensuite vers l'immense bûché, prenant soin d'adresser une prière pour les âmes des malheureux morts calcinés dans les flammes. Il resta ainsi quelques instants, pendant lesquels toute l'horreur de la situation lui monta au cerveau en même temps que l'odeur âcre de la chair et de la terre dévorées par une chaleur infernale. Celendrak - dans son passé de mercenaire - avait peu connu de spectacle équivalent. Certes il avait maintes fois vu le sang coulé et la mort être donnée, mais depuis son admission parmi les forces armées du duché, il reconnaissait volontiers que les visions de cauchemar s'étaient multipliées.

"Encore une magnifique journée nous attend" pensa-t-il ironiquement en baissant un regard durcit vers ses compagnons d'armes.

Il tomba d'abord sur Gilderoy en train de prendre les devants et des notes, puis sur Sasha et Elloriah à la recherche d'indices. Il pensait lui aussi aller faire un petit tour pour examiner plus en détails les restes du camp, mais n'étant pas un fin limier (ni un grand connaisseur de la région) et avec ses deux comparses déjà mobilisées sur l'affaire, ce n'est pas ici qu'il serait le plus utile. Son attention fut cependant captivée par l'insolente bannière qui dominait le massacre : était-ce une signature ? Une provocation ? En tout cas, ce symbole ne lui évoquait rien.

"Prêtons main forte au Comte et interrogeons les locaux. Le feu a presque tout ravagé, alors cette symbolique reste notre meilleure piste." se dit-il en tournant à nouveau vers l'intéressé.

Les éclaireurs tournèrent un regard hagard vers Celendrak, toujours sonnés par la destruction libérée, secoués par la violence indirecte du brasier et par l'affront fait au clan. Après une longue minute d'observation, l'un des deux hommes s'exprima, d'une voix rendue rauque par l'émotion. Son nom était Ainvyr.

"Je ne sais pas, monsieur ... quelle secte ou bande de soudards pourrait avoir ça comme bannière."

Son associé, qui lui concédait deux têtes en taille, nommé Ethelred, reprit. Un peu plus jeune, il semblait animé par la rage. Il accueillit l'arrivée de la guerrière au bouclier avec un signe de tête.

"L'Église de la Flamme ne signe pas comme ça, ils ont gardé la couleur orange et pas rouge. Et de toute façon, ces fils de chiens traînent dans l'ouest d'Alterac. Jamais vus ici."

"Je n'ai pas le courage de toucher cet étendard. Mais peut-être a-t-elle d'autres secrets si vous la décrochiez."

L'expression faciale de Celendrak resta compatissante alors qu'il accueillit les informations données par Ainvyr et Ethelred, puis devint plus pragmatique et professionnelle quand vint le temps de répliquer.

"Je comprends, de tels événements sont loin d'être évidents à digérer. Soyez assurer que je ferais tout mon possible pour que justice soit rendue pour le sort atroce qu'on subit les vôtres." dit-il avant de se tourner vers le lieu du carnage.

"Je vais suivre votre conseil et aller de ce pas m'atteler à enlever ceci du paysage..." déclara-t-il ensuite en désignant l'emplacement de l’odieuse bannière de la main. "Je vous tiendrai bien sûr au courant des avancées de ma traque, du moins autant que faire se peut."

C'est sur ces dernières paroles qu'il salua respectueusement les deux natifs, et s'en alla décrocher d'un pas déterminé la bannière laissée sur les lieux du crime, espérant y trouver plus de réponse dans son examen que dans celui des lieux carbonisés alentours. "Si ça ne donne rien, il faudra également que je remonte la piste laissée par les traces des malfaiteurs à la sortie du campement, elle pourrait me mener à des choses intéressantes..." pensa-t-il en chemin.

En décrochant la bannière, Celendrak eut l'occasion de constater qu'elle n'était pas aussi muette qu'en apparence. La flamme rouge au centre était brodée de fils jaune, peut-être de l'or ou quelque chose s'en approchant pour des porte-monnaies plus maigres. Elle exsudait une odeur très étrange, qui n'était pas celle du charnier ou du bûcher, mais celle, capiteuse et entêtante, de l'encens. La hampe était gravée de quelques flammes et l'arrière de la bannière était ornée d'un motif différent. Des prières de glorification à la Lumière sur de petits morceaux de parchemin collés à la cire rouge s'étalaient en colonnes. Il y en avait onze, exactement, en deux colonnes de cinq et le dernier au centre, plus large que les autres.

Si les dix premiers ne révélaient que des obséquiosités envers une Lumière vengeresse et punitive pour ceux s'étant écartés du droit chemin uniquement connu de ces agresseurs, le onzième s'apparentait à un compte-rendu de jugement hâtif. "En vertu du mandat confié par la Très Haute, le châtiment a été rendu, les infidèles ont été rachetés dans la pureté du Feu. Fait et bien fait par la volonté du Grand Exécuteur Adaman. Que les coeurs purs se réjouissent et que les hérétiques se lamentent."

Les deux éclaireurs se retirèrent juste après, laissant Celendrak seul à ses réflexions.

Celendrak fit de son mieux pour photographier toutes ses petites découvertes dans sa mémoire malgré une perplexité bien marquée. Bien qu'étant lui aussi était un homme de foi dans une moindre mesure, il ne comprit pas comment un groupuscule pouvait se résigner à arriver à de telles extrémités. De son point de vue, le culte de la Lumière ressemblait plus à une philosophie de vie visant à améliorer le monde dans sa globalité via les trois principes fondamentaux de cette dernière : le respect, la ténacité et la compassion. En conséquence, rien ne pourrait jamais justifier ces atrocités sans nom.

Il fronça alors les sourcils de colère. "Qui que soient nos mystérieux ennemis, leurs fausses croyances sont une menace. Ce sont les véritables hérétiques, de vils serviteurs du malin... et ma venue sera effectivement le début de leurs lamentations." pensa-t-il en baissant les yeux vers la mention de ce Grand Exécuteur Adaman. Celendrak savait cependant que foncer tête baissée n'apporterait rien de bon ou de plus, et qu'il valait mieux se contenter d'une plus grande récolte d'information pour le moment. L'action viendrait plus tard. Les motivations et but précis de ces fanatiques lui échappaient toujours, de même que leur nombre, leur localisation, l'identité exacte de leur mystérieux chef... Et quand bien même il parviendrai à rassembler toutes les pièces du puzzle correctement, il ne serait sans doute pas assez de lui tout seul pour éradiquer définitivement le problème, à moins de la jouer très fine.

Donc, la chasse ne faisait que commencer. Le jeune soldat retourna à son cheval, l'enfourchant ensuite pour l'emmener à proximité du campement. Il n'y avait sans doute plus rien à apprendre des restes fumant de cet immense bûché, mieux valait à son humble avis faire un petit tour de reconnaissance pour approfondir ses recherches. Il n'était point un pisteur, mais Celendrak espérait toutefois que les traces laissées par les criminels lui montreraient la voie. Aussi décida-t-il de lui suivre, tous les sens à l’affût sur le chemin.

Les symboles d'armes, épées et arbalètes, signalent des ennemis, des archers en faction sur les deux promontoires rocheux du passage, les épées de l'entrée sont une patrouille qui fait le tour de la zone et les deux devant la tour sont des factionnaires.