[Cederwynn] : La Clé rituelle

Prologue : Quelque part, en dessous de la Ville Basse, du côté des récupérateurs d'eau des quartiers occidentaux. 


Le noir en dessous était absolu. C'était comme s'il était devenu solide et que d'un coup de ciseaux on pouvait se le découper et en faire des constructions et des drapés, des monts et des merveilles. Tout devenait plus intense quand le monde se réduisait à un cercle de lumière vacillante de quelques mètres de côté, les sons prenaient une vie inquiétante, l'imagination avait le champ libre pour composer des monstres guettant, juste à l'orée de la nuit éternelle. L'eau qui gouttait le long des parois et coulait lentement au fil de la grande canalisation ouest charriait cette prégnante odeur de l'humanité dans sa grossièreté et dans son abandon. Le bruit était entêtant et difforme. Tout concourait à ce que la bonne ambiance soit au rendez-vous. 

"Tiens toi calme, ils vont bientôt arriver !"

Une voix, rêche, usée, comme de la laine abîmée et trop lavée. Une vieille femme en guenilles assise au coin du feu, si près qu'elle semblait y tomber à chaque instant et pour autant rester frigorifiée dans ce lieu humide et désolé.

"Ca fait deux jours qu'on attend, et jamais ils se pointent. Ils ont eu un problème ou bien ?"

Deuxième voix. Un homme, plus jeune mais pas de la prime jeunesse, adulte typique d'Alterac, mineur de fond si on en juge à sa trogne sale, ses frusques poussiéreuses et cette façon de plisser les yeux.

"Je te dis qu'ils vont arriver d'un instant à l'autre. Je le sens dans mes vieux os."
"Et est-ce que tes vieux os pourraient être plus précis que "sous le collecteur six-huit, entre deux et trois heures de l'après-midi" ? On y voit que dalle ici !"

"Ne sois pas bête. Des gens comme ça, ils ont tant de choses à régler, il leur faut bien du temps ..."

L'homme poussa un soupir exaspéré, roula des yeux au ciel invisible et reprit ses cent pas, mains croisées sur ses reins. La vieille continua d'arranger ses frusques, vieux jupons rapiécés, râpés et troués sur les franges. Une scène banale ... si elle ne se déroulait pas dans les égouts de la Ville Basse.

Puis la banalité vola en éclats : une perturbation survint. Celle-ci prit l'apparence de lanternes qui se balançaient dans la nuit. Deux puis quatre, troubles flammes bleutées dans l'obscurité éternelles, les feux étaient accompagnés par le son de chaussures foulant la roche équarrie qui formait le lit des canaux souterrains. L'homme se tourna vers elle avec impatience, la femme prit son temps pour se relever juste à temps pour accueillir l'étrange cortège dans le cercle de lumière dispensé par la petite lampe-tempête entre le duo. Noirs voiles de soie délétère, mousseline cafardeuse, maléfiques drapés de lin, cinq silhouettes en formation intervenaient dans la scène. Quatre d'entre elles, formant un carré autour de la cinquième, portaient des hampes au bout desquelles se balançait en gémissant une lanterne. La dernière apportait un coffret de métal gris. Impossible de les distinguer, de les différencier ou de les déterminer : ces silhouettes n'étaient que des formes, des êtres dont la vie n'était pas certaine. Elles s'immobilisèrent avant d'entrer dans le cercle de lumière du duo. Ce dernier se confondit en courbettes et garda le regard baissé par la suite. L'apparition centrale prit la parole, d'une voix sans aucune aspérité, neutre, d'une normalité étrange.

"Arezka. Le Choeur t'appelle. Entends-tu sa demande ?"

La femme, qui devait répondre à ce nom ou pseudonyme acquiesça vivement, plusieurs fois, sans oser prononcer un mot. Son complice était médusé, tremblant.

"Approche. Le Choeur te demande."

Elle s'exécuta, non sans mal. Difficile de déterminer s'il s'agissait de sa peur ou de ses vieilles jambes, probablement les deux. Elle parvint jusqu'à la forme centrale, les deux formant l'avant-garde s'écartant sans un bruit pour lui laisser place.

"Un nouvel Avènement approche. Si nous avons perdu un pion en Aldunholm, le plus important reste en place, insoupçonné. Leur sacrifice a favorisé le Choeur. Et le Choeur en retour a décidé d'appeler un nouveau Fils en ce monde. Lève les mains et reçois notre présent."

Ses mains osseuses se levèrent d'un coup, comme montés sur ressorts. Elle était hypnotisé par le flux de mots léger, lent, sirupeux. L'être plaça alors sur ses mains ouvertes le coffret, lui tirant un curieux gémissement de douleur. Malgré son âge et sa faiblesse, elle le conserva brandi en l'air au-dessus de sa tête.

"Toi qui connaît les anciennes Voies, le Choeur te demande d'utiliser l'oeil offert pour forger la clé et le rite. Toi dont l'être veut recouvrer la jeunesse, exécute-toi, et le Fils restauré te la rendra en reconnaissance de tes services."

Elle acquiesça de nouveau, faisant dangereusement trembler son fardeau. Le cortège reprit alors sa marche, contournant le duo figé et retournant comme il était venu dans les ténèbres infinies des profondeurs. Il se passa un long moment avant que les deux ne se décident à remuer un doigt, puis reprennent une posture normale, sécurisant le lourd coffret dans de lourds draps de laine humides. Leur retour à la surface s'apparenta à une fuite en bonne et due forme, longeant murs et maisons, de porches en parvis jusqu'à une quelconque bicoque de la Ville Basse. Les préparatifs devaient commencer au plus tôt. Outre le coffret, un autre détail avait fait son apparition.

Les mains d'Arezka étaient grises, désormais, et la paume de sa main gauche était fendue d'une ligne noire.

Un bruit, un souffle. Un soupir, qui dit mieux ? Une chose fragile dans la tête de Cederwynn tandis qu'elle dort, du repos du bienheureux, aux côtés de Kiel dans sa chambre ducale de la Citadelle. Si les sons pouvaient avoir une odeur, ceux-là humeraient le sous-bois, la terre noire et riche, l'humus, le champignon et le bois humide. De la même façon la voix sans décor qui se ferait entendre sur le contrepoint des feuille tombantes, qui tomberaient sur d'autres feuilles des milliers d'automne avant elles, cette voix-là a la saveur de l'écorce et la force de la terre, la patience de la pluie sur la pierre. Elle parle.

"Duchesse Cederwynn d'Aiglepic. Celle qui porte ma Voix. Entendez mon Appel. Mon Frère Antâran pleure des infamies à venir. Vos ennemis qui sont nos ennemis marchent dans les ténèbres et cherchent ce qu'ils ne doivent pas libérer. Ils prévoient une nouvelle phase de leurs manigances. Dans la Ville Basse, leurs pions s'agitent. La Flèche Vibrante. C'est là qu'ils essaiment sans savoir qui les dirigent."

Mais cette vision ne dure qu'un temps et le temps des rêves devient également relatif.

*
**

Aiglepic était une terre dangereuse pour qui n'était pas dûment préparé. Eléments, groupes ennemis de longue date, petites frappes, il y en avait pour tous les goûts. Certes, les politiques ducales de réduction des menaces portaient leurs fruits, mais lentement. Très lentement. Dans ce terreau en pleine mutation, quelques racines et cailloux essayaient toujours de miner les efforts du patient laboureur et de son araire. Ils trouvaient toujours moyen de prospérer à l'ombre des arbres oubliés, dans le dos des garnisons militaires, juste après le passage de la garde. La Ville Basse n'échappait pas non plus à cette réalité. Tires-laine, véreux et même anciens bandits du Syndicat ayant du mal à raccrocher surins et crochets continuaient d'alimenter la criminalité et de donner du travail aux infatigables juges Valenfleur et à leurs étudiants, pour certains venus directement de la haute école d'élite de la Citadelle.

Les citadins n'étaient pas dupes et beaucoup refusaient maintenant de tremper dans de sournoises combines pour gagner un peu plus que leurs revenus. Les choses se faisaient plus discrètement de nos jours, comme pouvait en attester le tenancier de la taverne de la Flèche Vibrante, Desmond Sert-Chopine. C'était lui qui avait fait remonter aux zélés services d'ordre d'Aiglepic la présence d'étranges habitués dans ses locaux, les soirs de tournoi de wapiti. Mais, craignant de voir décamper sa clientèle, qui vivotait de peu et de quelques petites affaires sous le manteau, il avait expressément demandé à ne pas voir débarquer une horde de gardes d'élite devant son perron. De toute façon, les loubards locaux étaient rusés et auraient déjà filé bien avant l'arrivée des cuirassés. Alors il attendait que l'on réponde à sa demande et à ses prières. C'était un citadin, mais il révérait tout particulièrement Tarahim et Lahir et quelques petites représentations de bélier et sanglier décoraient sa taverne.

La Flèche Vibrante était prospère, non pas pour la qualité de ses alcools et de ses mets, tout à fait commune, mais pour ses animations de fin de semaine. Taverne coincée en ville entre deux autres bâtiments, ne jouissant pas d'une arrière-cour développée comme sa concurrente directe le Dragon Saoul, Desmond avait fait le pari de laisser des jeux plus tranquilles s'installer dans son établissement. Décision qu'il ne regrettait en rien. Chaque fin de mois, au dernier jour, se tenait le tournoi mensuel de wapiti de la Ville Basse, qui rassemblait les gagnants des petits tournois de fin de semaine. C’était un épicentre de la vie populaire, un rendez-vous incontournable et qui, à lui seul, permettait au tavernier de doubler, voire tripler, ses revenus quand il y avait du beau jeu. Lui-même n’y comprenait pas grand-chose à ce jeu, mais il comprenait mieux les rentrées financières qu’il générait.

C’était l’après-midi. Le jour du tournoi mensuel était arrivé et on devait voir s’affronter des dizaines de joueurs venus du Duché mais aussi des territoires neutres à la cause ducale alentours, des territoires allégeants au Duc comme Arcy et Avarras, voire de bien plus loin. Le quartier ouest se préparait à la fièvre, l’après-midi apparaissait comme l’œil du cyclone, le calme avant la tempête. Desmond nettoyait ses verres et ses chopes, seul derrière le comptoir, le regard posé sur l’entrée de la Flèche, patient.

"Le Destin vous a donné de bien tristes cartes. Vous qui vous êtes démené pour tirer votre épingle du jeu, vous risquez jusqu'à votre vie car de sinistres gens ont choisi votre établissement comme lieu de propagande."

Elle n'était pas arrivée par la porte. Elle n'était arrivée par aucune porte. Pas plus que par une fenêtre. A dire vrai, elle n'était, pour Desmond, pas arrivée du tout. Et pourtant, elle se tenait là, assise à un tabouret qu'il aurait juré vaquant quelques secondes plus tôt. Elle aurait pu se confondre avec la foule si on ne prenait pas le temps de s'attarder sur sa silhouette grimée d'une tenue tout à fait quelconque. A peine quelque boursoufflures sous le tissu témoignaient, pour l’œil expert, d'une armure passée sous ces frusques sans aucune originalité.

"Je m'essaie à parler en images figurées. C'est un art pour lequel je me trouve sensiblement douée."

Son timbre avait quelque chose d'incohérent. Sa voix, mélange détonnant d'un chant merveilleux mais hasardeux, enivrant mais effrayant, s'échappait d'une ample capuche obscurcissant son visage jusqu'à son nez. Et ce nez, qui tenait du pic et complaisait à Sir Agneau, ne semblait pas plus de chair que ne l'était le reste de ce demi-visage strié de nervures boisées.

La duchesse était là. Incognito pour qui l'observerait de dos, mais effroyablement réelle pour le tavernier dont elle captait à présent l'attention. Sa présence, aussi dérangeante pouvait-elle parfois être pour certains, devait avoir quelque chose de rassurant. Elle avait, après tout, pour réputation d'avoir les choses à cœur, et se trouvait manifestement là en réponse à la requête indirecte du tenancier.

"Ah ! Amatrice cependant ! Débutante à ce sujet. Je l'admets. Soyons pragmatique. Il y a fort à faire. Et pour ceci, je suis une professionnelle."

Son regard tourbillonnant ne semblait jamais ciller. Du peu qu'il offrait parfois au détour du tremblement de la flamme d'une bougie, il donnait l'illusion de briller derrière un visage de bois frappé de peintures rituelles -honorant un obscur destinataire. Cederwynn fixait Desmond, et lorsque celui-ci eut fini d'exposer le fond de sa pensée, elle étira sur le comptoir deux mains semblant faites d'écorce et de feuilles, décorées des mêmes grimages.

"Celui qui est la justice appliquée, vous et moi avons des intérêts concordants. Étant figurément entendu que je ne puis participer moi-même au tournoi car, premièrement, je ne saurais perdre, et, deuxièmement, je suis un tantinet reconnaissable, je vous demande expressis verbis de protéger le mobilier qui vous est sentimentalement et/ou patrimonialement cher. Lorsque celui qui échouera à la finale accompagnera à leur table ceux qui sont suspects, vous évacuerez subrepticement le reste de ceux qui sont des consommateurs."

Elle s'avança sur le comptoir et révéla le reste de son visage. Un étrange masque aux allures païennes, tout de bois peinturluré d'arabesques jaunes. Dépourvu de bouche et d'expression, il détonnait avec emphase du regard par trop vivant de la Duchesse.

"Il y aura certainement des bris et de la casse. Il vous faudra vous protéger vous aussi."

Par chance pour Desmond, Cederwynn n'avait jamais été quelqu'un de formaliste. Et elle n'était pas du genre à s'offusquer de ce qui aurait été perçu par d'autres comme étant une effronterie.
Mais lorsque le tavernier releva le nez de ses pieds, il n'avait déjà plus d'interlocutrice. Et aurait-il jeté un œil vers la coursive qu'il indiqua ce tantôt qu'il n'aurait entraperçu qu'un évanouissement dans l'ombre.

Sa vis-à-vis s'était estompée avec autant de légèreté qu'à son arrivée. Elle se trouvait là, plus haut. Quelque part entre la coursive et le couloir menant vers les chambres. Ou peut-être même entre les lattes du plancher ? Il était difficile de le déterminer, tant sa présence sibylline s'affranchissait sans la moindre pudeur des règles les plus élémentaires de la physique classique. Et du processus social.

Quelque part, donc, la Duchesse guettait. Le tournoi de wapiti était parti pour prendre une tournure tout à fait singulière. Du moins, pour certains de ses participants, et spectateurs.

***

***

Cederwynn avança contre la rambarde de la coursive. Elle y posa les mains, tandis que le bois entourant ses paumes sembla se déliter pour venir épouser celui de la barrière.
De son regard bien trop oscillant, elle détailla l'ensemble de la salle. Pour le moment, il n'y avait que peu à faire -conventionnellement, car son esprit trouvait toujours à s'occuper, aussi choisit-elle d'analyser la configuration de la taverne.

Elle opta pour un poste d'observation depuis la coursive, sur le coin opposé à celui de l'escalier. D'ici, la vue lui semblait convenable sur ce qui, bientôt, serait le théâtre des opérations. Les tables étaient toutes plus ou moins dans son champ de vision. Un peu moins peut-être concernant celle sous les escaliers.
Mais elle doutait que les gredins viendraient s'y poser. Cela lui semblait trop convenu.

A tout le moins, il serait toujours temps d'intervenir le moment venu. Mais pour le moment, il fallait laisser le temps à l'horloge de s'offrir quelques tours de chauffe. Elle se figea alors contre le mur, le flanc appuyé jouant le même artifice que ses gants ce tantôt tandis qu'elle semblait entrer en harmonie avec les boiseries murales.

La traversée du temps était somme toute relative. Et elle ne semblait que peu affecter Cederwynn, qui resta figée sur place pendant plus de deux heures sans manifester le moindre signe d'ennui, ou d'inconfort. A dire vrai, elle ne manifesta rien du tout, et quand bien même l'aurait-elle fait que l'on n'en aurait rien vu, cachée derrière son masque qu'elle était.
Ce n'est que lorsque les premiers participants prirent place et que les parties débutèrent qu'elle laisse paraître un intérêt. Elle abandonna ce qu'il se tramait au plus profond de ses esprits pour profiter des jouxtes plus bas. Elle s'agaça parfois du manque de clairvoyance d'un participant, lui qui eut jugé pertinent d'entamer un contre-tour par un wapiti en double cascade. Elle admit l'ingéniosité d'un concurrent optant, quant à lui, pour une relance en sinusoïde.

Mais elle n'était pas là pour le loisir. Pas officiellement, fallait-il en convenir. Elle gardait un œil sur le manège du groupe d'individus guettant eux-même le cours du tournoi. Il fallait s'attendre à ce que, d'ici la victoire, ils jettent leur dévolu sur le dauphin.
Ce qui ne manqua pas. A peine les résultats prononcés et la fête lancée que le premier des derniers se fit alpaguer par les curieux bons hommes. Malgré ses efforts, Cederwynn ne parvint pas à retirer quoi que ce soit de leurs échanges.

Jusqu'ici, il fallait l'admettre, le groupe n'avait commis d'illégal que leur manque d'originalité. Ce qui, Cederwynn en convenait, ne justifiait aucune mise à mort. Elle opta donc pour le chemin empirique de l'enquête. Premièrement, car si organisation il existait, il était d'autant plus pertinent d'essayer de cerner la tête, et deuxièmement car elle n'était pas du genre à faire dans la demi-mesure.
Lorsque le petit groupe se leva, la forme à l'étage se détacha du mur lui ayant tenu compagnie pour la soirée.
Le pas éthéré, elle se faufila au travers de la foule braillarde, flottant entre les convives et les soulards sans jamais ralentir.

Dans la rue assombrie par l'heure avancée, la silhouette étrange de Cederwynn se dissipa à l'ombre des toits de la ville basse. Son regard, à la fois partout et nulle part, ne quittait jamais son objectif : le groupe, qu'elle avait entreprit de filer jusqu'à ce qu'elle perce le mystère de leurs manigances. Dusse-t-elle traverser tout Alterac.

Le moins que l'on puisse dire, c'était que le groupe suspect était d'une facilité déconcertante à pister, surtout lorsqu'on se nommait Cederwynn d'Althain. Les voici à marcher d'un bon pas dans la Ville basse, aux rudes presque vides à ces heures indues. Les conversations du groupe, tout au long de la marche, étaient simples, les parties de ce soir, la pluie, la neige et le beau temps, la politique, les affaires. Ils n'avaient pas d'avis marqués sur l'un ou l'autre de ces sujets. Le froid était vif, ce qui poussaient leurs pas plus vite et plus loin. Ils tournèrent plusieurs fois au coin d'une rue, puis d'une autre, quittant les avenues larges pour les rues parallèles et les traverses, jusqu'à une demeure assez coquette de l'ouest de la cité, presque contre les remparts neufs, jouxtant un vendeur de colifichets magiques. Au toit d'ardoises, ses murs étaient assez entretenus et ses fenêtres décrassées, laissant voir des rideaux en grosse toile assez basiques. Il n'y avait qu'un étage et une fenêtre au volet fermé, juste sous le pignon du toit. Ils se pressèrent d'entrer et refermer. Le feu de la cheminée, qui ne crachait que de pauvres volutes fatiguées, reprit de plus belle.

La placette était tranquille, mais il s'entendait sur les toits quelques choucas et dans les ruelles adjacentes des chiens errants occupés à fouiller quelques sacs abandonnés.

Elle poussa la filature jusqu'aux abords des remparts neufs de la ville, dans un quartier qui n'appelait pas spécialement aux conspirations et aux malandrins. Ce qui, pour la première fois concernant le groupe, était un brin original, et pertinent.

La fumée s'échappant de la cheminée lui interdisait une entrée inspirée des fêtes du Voile d'Hiver. De la même manière, s'introduire par une fenêtre était risqué. Pour peu que le groupe se soit installé, il était fort probable de débouler en plein milieu de leur conversation.
La porte, cependant, était souvent une alternative, certes classique, très intéressante et fort délaissée de tous ces pseudo tire-laines qui se sentaient le besoin irrépressible de ne fonctionner que par acrobaties superflues. Ceux-là même qui étaient du genre à ne se déplacer que sur les toits, pour se donner un genre.

Aussi, Cederwynn se résigna-t-elle à verser, pour une fois, dans l'orthodoxie et s'approcha de l'entrée. Un rapide coup d’œil alentour, à la recherche d'un guetteur, et elle s'intéressa à la porte. Avant de forcer la serrure, elle vérifia que celle-ci était bien verrouillée (savait-on jamais). Si la prudence commandait au groupe et que celui-ci s'était enfermé, alors la duchesse quitterait-elle son jeu de sondes et de crochets et s'affairerait à faire chanter le mécanisme jusqu'à trouver la correcte symphonie.

La serrure tinta une dernière fois et la porte bascula. Sous le geste assuré et habitué de Cederwynn, les gorges ne cliquetèrent pas tandis qu'elle quittait les outils de crochetage de leur nid. Sans un bruit, elle disparut de la rue et s'engouffra dans la demeure, n'entrouvrant que le strict nécessaire pour faufiler sa silhouette en limitant l'entrée lumineuse et l'intrusion des courants d'air.

Délicatement, à pas de velours, elle dépliait et allongeait ses jambes pour s'approcher de l'accès au salon. Entendant les voix et les (le) verre(s), elle ralentit et se figea pour écouter. Les propos libérés par les vapeurs d'alcool ne l'intéresseraient probablement que peu. En revanche, le jeu des nouveaux "amis" du dauphin, eux, avait toute son attention.

D'une immobilité splendide qui rendrait jaloux les monts d'Alterac, à quelques envolées de là, elle patienta. Une évolution de dialogue, une manigance... la main fermement serrée dans son gantelet d'écorce lourde, et le tomahawk dans l'autre.

Juste au cas où.